Rencontres en chemin – (extraits)

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Je désirais depuis des années apprendre quelque chose sur le soufisme de la bouche d’un soufi. Le moment était venu. J’avais lu de nombreux ouvrages de référence sur le sujet, mais il me semblait toujours que les définitions qu’on en donnait s’accordaient mal avec la profondeur et la beauté de sa poésie : je ne pouvais croire, par exemple, qu’il ne fût rien d’autre que la forme hérétique ou mystique de l’islam. Il s’avéra que j’avais raison et tort à la fois.

« La voie du soufi, dit l’akhund, est l’islam et n’est pas l’islam. C’est la religion et ce n’est pas la religion : le soufisme est la réalité vivante au cœur de toute religion. Comment peut-on distinguer entre une religion et une autre ? Vous ne pouvez pas comparer les différentes sortes de lait en goûtant le beurre que les hommes en ont fait.

« Le soufisme est un mode de vie. Il remonte, dit-on, à la plus haute antiquité. Il vise à parfaire l’homme, ou la femme. Pour atteindre à l’accomplissement, l’élève doit passer par un long apprentissage, mais la différence entre cet enseignement et d’autres systèmes spirituels tient à ce que cet apprentissage doit se faire dans le monde : le disciple étudie la voie tout en exerçant son métier et en vivant sa vie. »

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Je lui demandai ce que nous, en Occident, pourrions cultiver, ce dont nous pourrions nous inspirer pour fortifier notre propre tradition.
« D’abord, répondit-il à ma grande surprise, l’esprit d’équipe, qui permet à l’homme de comprendre la valeur du travail en commun, de la coopération harmonieuse.
« Ensuite, non pas la démocratie, mais l’apprentissage de la démocratie, qui vous donne la possibilité d’apprécier la démocratie qui n’est elle-même qu’un prélude à la compréhension de l’ “égalité” véritable entre les hommes.
« Enfin, le respect d’autrui, condition du respect de soi. Vous ne pouvez pas vous respecter vous-même tant que vous ne respectez pas les autres. C’est un grand secret.
« Êtes-vous sûr, insista-t-il, de bien comprendre à quel point ces trois précieux secrets sont des facteurs de progrès, des éléments fondamentaux déjà profondément enracinés dans votre culture occidentale ? C’est à vous de contribuer à les faire croître, c’est à vous de les défendre, de les utiliser comme points de départ.
« Tant que ces trois points ne sont pas ancrés dans votre cœur, vous êtes un hypocrite en prétendant chercher un maître. »

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« Il y a des maîtres indésirables en Orient comme en Occident. Le seul critère que vous puissiez appliquer, si vous ne savez pas d’instinct, c’est celui de la rigueur : le vrai maître est inflexible. Les immatures le trouveront intransigeant, dur. Ils s’étonneront aussi de son manque d’intérêt pour des choses qu’ils jugent importantes. C’est, par-dessus tout, un homme qui n’a pas peur. Qu’il s’agisse de petites choses ou de grandes choses, rien ne l’effraie. Nous avons moins de maîtres que vous ne pensez, et bien assez de pratiquants. Le vrai maître vous dira ce qu’il a à vous dire, il ne vous demandera rien. Il ne vous demandera pas de croire à ceci ou à cela. Il vous présentera les choses. Votre progrès ne tiendra qu’à vous. »

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Les Indiens tendent à se concentrer sur un nombre restreint de techniques pour produire l’effet mystique, alors qu’en Asie centrale on regarde presque chaque mouvement, chaque pensée, chaque impact comme importants pour le développement de l’homme.

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Sheikh Hawaili pensait que l’homme a le devoir de se parfaire, que c’est la raison de sa présence sur terre. Tout ce qui nous arrive, tout ce qui nous touche, actes ou pensées, a un effet constructif ou destructeur sur ce processus évolutif. La seule manière de rester sur le droit chemin, c’est d’agir en accord avec l’instinct immédiat, de réagir aux situations à mesure qu’elles se présentent. Seuls ceux qui ont développé la conscience d’être habités par un pouvoir supérieur peuvent suivre la voie droite.

« Ce pouvoir supérieur réside, si l’on peut dire, dans les cinq zones subtiles du corps, zones reflétées dans l’esprit. Le fakir consacre sa vie à l’activation de ces centres. Tant qu’ils n’ont pas été sensibilisés, aucun progrès nouveau n’est possible. Une fois réveillés, ils opèrent comme un seul organe : cet organe spirituel détermine le développement de l’homme.

« Physiquement, l’être humain ne peut se développer plus avant. Le corps physique ne peut que se dégrader si rien n’est fait pour maintenir son intégrité et son bon fonctionnement. Le corps, ayant atteint son apogée, va détruire l’esprit, à moins que l’esprit ne s’éveille à ses responsabilités, à moins qu’il ne soit purifié, régénéré, et puisse à son tour régénérer le corps. Alors le corps et l’esprit constituent un seul organe, et c’est cela l’homme parfait. »

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© Le Courrier du Livre, pour la traduction française.